jeudi 5 février 2015

Les yeux... ces miroirs de l'âme !

En janvier 2013, j’ai participé à un concours d’écriture proposé par la collection R. Cette scène inventée aurait lieu à la fin du tome 2 de la saga Night School de C.J. Daugherty (Littérature jeunesse).


                                                 Tome 1                             Tome 2 


Les yeux... ces miroirs de lâme !

Une chambre de l’infirmerie
— Sheridan ?! Bon sang, à quoi tu pensais quand…
Lorsque Carter pénétra dans la pièce exiguë et qu’il découvrit avec horreur le corps inanimé d’Allie, il s’immobilisa les bras ballants et ses mots cinglant s’évanouirent alors sur sa langue rageuse. Spectateur de cette vision d’horreur, il se mordit si férocement la lèvre inférieure qu’un mince filet de sang s’écoula. En entrant, il était loin de s’imaginer que la jeune fille se trouvait dans une condition si critique.
 Allie, oh, mon Dieu, Allie ! s’épouvanta-t-il en se jetant sur la chute du lit de la convalescente. Mais que t’est-il arrivé ? Allie, réveille-toi ! Allez, Allie ! s’emporta Carter désemparé.
 Doucement, jeune homme ! intervint la doctoresse alertée par le grabuge. Votre amie ne risque pas de vous répondre, elle est inconsciente, elle a subi divers traumatismes…
 Mais elle… elle va…
 Se remettre ? l’interrogea-t-elle du regard avant de poursuivre encouragée par l’acquiescement silencieux de l’adolescent. Allie est gravement atteinte et… aussi bien extérieurement qu’intérieurement, alors si vous pouviez vous ressaisir, jeune homme, vous l’aideriez !
 Mais vous ne m’avez pas dit. Est-ce qu’elle… ?
 Pour l’instant son état est stationnaire, mais elle n’est toujours pas revenue à elle depuis qu’elle a été transportée ici et…
 Quand a-t-elle été retrouvée ? Que lui est-il arrivé ? Quel est le monstre qui lui a fait ça ? De quoi souffre-t-elle exactement ? Combien de temps va-t-elle… ?
 Carter, voudriez-vous vous calmer et me laisser vous renseigner sur la situation ?! s’agaça la femme. Je sais qu’Allie et vous êtes très proches mais…
— Oui… Non… Enfin… Comment le savez-vous ? s’enquit Carter, un sourire arquant naturellement ses lèvres sans même les contrôler.
 Je l’ai entendue susurrer votre prénom à plusieurs reprises depuis qu’elle est alitée… Cela fait bien sept heures maintenant, précisa-t-elle en jugeant sa montre. Ces deux syllabes sont les seules qu’elle a prononcées… Ce qui a d’ailleurs chagriné Sylvain, ce jeune garçon tout à fait charmant, qui s’est subitement éclipsé… Allez savoir pourquoi ?! ironisa-t-elle pour détendre celui qui était encore plus livide que la souffreteuse elle-même. Bref, laissons Allie se reposer et venez prendre une tasse de thé, je vais vous informer du moindre détail.

Carter s’apprêtait à protester mais le froncement de sourcil équivoquement orageux du médecin l’en dissuada et il se résolut à lâcher la main inerte de la jeune fille pour la suivre.
Confortablement installés dans une pièce adjacente, la doctoresse lui raconta minutieusement les mésaventures de l’accidentée.
Elle commença par lui indiquer qu’avisés par Zoé, Sylvain et Lucas accompagnés de gardes chargés de la sécurité, l’avaient cherchée pendant un long moment. Néanmoins, c’était Raj Patel qui, tout à fait par hasard, l’avait retrouvée très amochée sur une route enneigée. Il l’avait immédiatement conduite à l’infirmerie mais, l’étendue de ses contusions, sa perte de sang abondante, sa commotion cérébrale et quelques autres blessures internes demeuraient toujours inquiétantes.
Grâce à sa bravoure, Allie avait réussi à échapper à ses assaillants, toutefois, elle avait terriblement mis en danger sa vie pour y parvenir. Lors de leurs recherches, Sylvain et son équipe avaient repéré une camionnette endommagée et en avaient extrait Gabe ainsi qu’un conducteur extrêmement meurtri par une offensive oculaire de la jeune téméraire. Bien que légèrement inconscients à leur arrivée dans l’officine, les sommaires examens ne révélant aucune gravité, ils avaient été placés en lieu sûr.
Le médecin autorisa Carter à séjourner auprès de la jeune comateuse à condition qu’il soit serein. Seule une présence apaisée pouvait favoriser sa sortie des limbes. Pas une personne nerveuse et angoissée. Même si celle-ci comprenait les craintes de Carter, Allie avait besoin de tranquillité et de soutien. Il lui assura qu’il saurait se tenir et qu’il la veillerait avec bienveillance.

Après ces révélations affligeantes, Carter retourna donc au chevet d’Allie congédiant pour quelques heures le professionnel de santé qui avait besoin d’un instant de détente après cette nuit agitée.
Le jeune garçon n’avait eu connaissance de l’assaut qu’au petit matin et il s’en voulait énormément d’avoir été distrait par son batifolage avec Julie.
Il avança le siège mis à disposition près du lit inhospitalier qui accueillait la victime, couverte d’ecchymoses, de bandages, d’un plâtre à son bras gauche ainsi que d’une perfusion. Il s’approcha le plus possible de ce corps frêle avant d’enlacer la main droite d’Allie dans les siennes. Il posa délicatement sa bouche sur leurs parcelles de peau entrelacées. Puis, tandis qu’il la couvait de son regard tendre, sans jamais détourner la tête, il se perdit dans ses élucubrations.
Ses ruminations tournaient en boucle depuis plus de deux heures ; il se fustigeait pour ses comportements passés. Qu’est-ce que je foutais à flirter pendant que celle… celle… pendant que Sheridan se faisait kidnapper ?! Julie ne m’intéresse même pas, je souhaitais juste la rendre jalouse, mais au lieu de l’effet escompté, je ne l’ai que plus éloignée et voilà le résultat ! Allie se retrouve entre la vie et la mort à cause de mon orgueil ! Oui, elle s’est rapprochée de Sylvain… mais… me suis-je battu pour elle ? Lui ai-je témoigné de mon affection ? Lui ai-je suffisamment fait confiance ? Lui ai-je ouvert les yeux sur… Non. Non ! NON ! Je n’ai rien fait de tout ça ! J’étais trop assujetti à ma jalousie excessive… Cependant, elle ne me donnait pas le droit de réagir si démesurément. Même si Sylvain dupe beaucoup d’entre nous et qu’il n’est pas celui qu’il…
Un faible murmure – « Carter… Carter… » – le fit sursauter. La voix d’Allie était à peine audible et ses yeux restaient clos. Ce chuchotis caressant les tympans du jeune garçon, il bondit alors plus près de cette bouche appelante et, rivant ses yeux sombres sur le visage tuméfié de sa protégée, encore si contrit, il gémit :
— Oui, ma belle, je suis là !… Je suis là, tout va bien, je te le promets, tout ira bien ! Je ne te quitterai plus, je te le promets… Allie…
La jeune fille répétait inlassablement son prénom et, de la pulpe de ses doigts Carter câlina son front dégagé de toutes mèches désormais rouges et poussiéreuses. Il la berça de ses paroles réconfortantes jusqu’à qu’elle ouvre péniblement ses paupières qui papillonnèrent.
Par la suite, elle le dévisagea de longues secondes comme si son existence en dépendait et ce qu’elle lut dans les prunelles du jeune garçon lui administra un énième coup de poignard !
Pourquoi suis-je toujours aussi charmée par son visage ténébreux ? Et pourquoi celui plus angélique de Sylvain continue de me tourmenter également ? Pourquoi ne puis-je pas définitivement choisir entre les deux ? Peut-être parce que les deux se montrent si prévenants avec moi… si affectueux… qu’ils embrassent aussi bien l’un que l’autre et que chacun me fait éprouver des sensations exaltantes et que… Pourquoi quand je suis avec l’un, je désire l’autre, et quand je suis avec l’autre, je désire à nouveau le premier ? Est-ce sans fin ? Mais… auquel puis-je me fier ? À qui puis-je faire confiance ? En même temps, mon subconscient semble avoir choisi puisque je suis incapable de n’articuler rien d’autre que « Carter »… Et au fait… euh… je suis où ? Pourquoi je ne peux pas bouger ? (Elle s’inquiéta sérieusement.) Pourquoi j’ai cette impression d’être dans le brouillard et d’être clouée au lit ? Pourquoi ma gorge me brûle autant ? Pourquoi aucun son ne sort de ma bouche ? Aïe… Mais qu’est-ce… ?

Comme si Carter avait entendu son questionnement intrinsèque, il l’informa qu’elle se trouvait à l’infirmerie suite à une embardée de voiture qu’elle avait provoquée afin de se soustraire à ses agresseurs. Il lui expliqua qu’elle avait été enlevée par Gabe ainsi qu’un autre homme dont il ne connaissait pas encore l’identité. Confus, il se repentit de ne pas avoir été là pour la secourir et surtout de ne pas lui avoir évité cet affreux enlèvement à cause de son entêtement stupide à la dédaigner ces derniers temps.
Les souvenirs épars d’Allie refirent brusquement surface, mais dans un charivari déconcertant. Ses dernières réminiscences s’envolèrent vers l’empreinte charnelle des lèvres sensuelles de Sylvain. Elle ne savait que penser ! Son corps semblait façonné pour se blottir contre ceux de ces deux jeunes garçons à la physionomie pourtant très disparate.
Au demeurant, même si elle était indéniablement attirée par le blondinet français aux yeux céruléens, l’air mystérieux du brun aux prunelles noires et surtout son magnétisme, la troublaient davantage. D’ailleurs, son cœur semblait avoir parlé à son insu. C’est lui qu’elle avait interpellé, c’est lui qu’elle souhaitait à ses côtés pendant qu’elle était si fragile, c’est lui…

Carter était bouleversé de déchiffrer les émotions traversant celle qu’il n’avait jamais cessé de considérer comme sa petite amie. Il laissa échapper une discrète larme sans même s’en rendre compte. Il avait l’agréable sentiment de partager une connivence perdue depuis trop longtemps.
Le silence régnait et, sans l’artifice du langage verbal, ils se confiaient de doux secrets allant bien au-delà des précédents. Leurs œillades étaient tellement profondes qu’ils n’avaient pas besoin de parler, leurs âmes respectives s’exprimaient pour eux. Ils ne s’étaient pas encore souris, néanmoins, chacun ressentait la félicité de cet instant. N’en tenant plus, Carter s’écria malgré lui :
 Je t’aime !
Allie le dévora de ses yeux encore groggy mais reflétant ses pensées les plus intimes. Prise d’une crise de panique à la suite de ces mots chaleureux, elle haletait… étouffait même. Elle était si lasse qu’elle ne savait plus comment s’y prendre pour survivre à cette attaque affective ! Elle était décidément bien plus habile dans l’art de la guerre qu’en amour !
Témoin de son asphyxie dont il était entièrement responsable et, pas peu fier à vrai dire, Carter emprisonna le visage de la jeune fille de ses deux mains. Il plongea son regard aimant dans le sien et, sans jamais rompre leur contact visuel, lui souffla d’une intonation mielleuse :
— Inspire, ma belle… Là voilà… Expire maintenant… Recommence, Allie. Inspire… et...
Tout en la guidant, il mimait une respiration exagérée pour l’accompagner dans ce processus qui demanda bien plus de temps que d’accoutumée compte-tenu de la fatigue de la blessée.
Allie aimait tellement contempler son… son… Carter lorsqu’il la cajolait de la sorte. Pourquoi fallait-il que deux prétendants aussi scandaleusement beaux l’un que l’autre… aussi gentils l’un que l’autre… aussi chevaleresques l’un que l’autre… ne se disputent ses faveurs ?! C’était bien sa veine, tiens !

Aussitôt que les joues d’Allie se rosirent, Carter s’empressa de l’embrasser passionnément et alors toutes les inquiétudes, toutes les craintes, toutes les interrogations de la jeune tourmentée, se dissipèrent comme par magie. Elle s’abandonna totalement à la ferveur de la langue de l’adolescent qui se mélangeait avec délice à la sienne.
Plus rien n’existait !
Son esprit embué et torturé se rassérénait.
Carter et Allie s’étreignirent dans une infinie douceur et leurs visages fermés et blafards jusque-là se détendirent et s’empourprèrent de plaisir. Leurs minois s’illuminèrent au point d’éclairer ce box sépulcral. Puis, se reculant, Carter déposa son front sur celui d’Allie avant de fredonner :
— Je t’aime, Alyson Sheridan.

La jeune fille était encore incapable d’émettre des sons plus longs que le prénom du garçon, mais il n’était pas nécessaire qu’elle lui retourne ses aveux, il savait qu’elle l’aimait aussi ! Ses yeux le signifiaient pour elle, point besoin de mots. Il glissa lentement et langoureusement vers la bouche de cette dernière dans le but de s’unir à nouveau à elle. C’est alors que Sylvain, entrant en trombe, se jeta sur lui et le chassant virulemment, vociféra :
— Tu fais quoi mec avec ma petite amie ?! Tu profites de sa faiblesse ? Je te savais fourbe, mais tu es plus que ça, Carter… Tu n’es qu’un…
— Sylvain, il est temps que tu arrêtes de prendre tes rêves pour une réalité ! T’es pathétique, tu sais ça ? se moqua-t-il sarcastiquement.
— Ah oui ? J’étais pathétique quand nous nous embrassions fougueusement avant-hier soir, Allie ?! s’énerva-t-il tout en observant de haut la jeune fille. Eh bien, tu attends quoi pour dire à ce vaurien qu’il se méprend sur tes sentiments ?! Dis-lui, Allie ! beugla-t-il plus impitoyable que jamais, prêt à la secouer.

La jeune fille aussi prise de court que les deux belliqueux ne pouvant soutenir leurs regards quémandeurs, détourna la tête et se réfugia dans son mutisme récent.

— Si tu étais, ne serait-ce qu’un petit peu moins égocentré, Sylvain, asséna Carter à son rival tout en le toisant et le défiant, tu te serais aperçu que notre chère Allie ne peut pas, pour l’instant, parler ! Mais apparemment…
— Eh bien, elle n’a qu’à hocher la tête ! le coupa-t-il sévèrement. Informe-le, Allie, que c’est moi que tu veux !
Des larmes envahirent les grands yeux gris de l’adolescente, et lorsque son regard se posa sur Carter, celui-ci saisit l’abjecte message. Il n’était plus si sûr qu’elle éprouve pour lui les mêmes sentiments qu’il ressentait fortement pour elle.
— Je… euh… Je pensais que… nous avions une connexion spéciale, Allie, bredouilla Carter à l’adresse de celle qui comptait plus que tout pour lui. Mais… vraisemblablement, j’avais tort en pensant que… Laisse tomber ! Je vous laisse, les amoureux, glapit-il alors en insistant plus que nécessaire sur le substantif « amoureux ». Puisque tel est ton souhait, je m’efface et… une bonne fois pour toutes ! gronda-t-il avant de disparaître.

L’adolescente contrariée riva des yeux exaspérés à ceux d’un Sylvain triomphant. Elle énonça pour la dernière fois les deux mêmes syllabes qu’elle répétait à foison depuis des heures, puis convulsa et sombra finalement dans un profond sommeil léthargique.
À son réveil, trois jours plus tard, le dernier souvenir d’Allie remontait à son effondrement dans les bras sécurisants de Raj Patel. Pourtant, une sensation charnelle délicieuse persistante était inscrite dans sa chair. En parallèle, elle percevait également la musicalité enchanteresse de mots doux susurrés mais non discriminés.

C’est le cœur empli d’amour qu’Allie revint à la vie…


© Erika Cazaux, 2013


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