En janvier 2013, j’ai participé à un
concours d’écriture proposé par la collection R. Cette scène inventée aurait lieu à la fin du tome 2 de la saga Night
School de C.J. Daugherty (Littérature jeunesse).
Tome 1 Tome 2
Les yeux... ces miroirs de l’âme !
Une chambre de l’infirmerie
— Sheridan ?! Bon
sang, à quoi tu pensais quand…
Lorsque Carter pénétra dans la pièce
exiguë et qu’il découvrit avec horreur le corps inanimé d’Allie, il
s’immobilisa les bras ballants et ses mots cinglant s’évanouirent alors sur sa
langue rageuse. Spectateur de cette vision d’horreur, il se mordit si
férocement la lèvre inférieure qu’un mince filet de sang s’écoula. En entrant,
il était loin de s’imaginer que la jeune fille se trouvait dans une condition
si critique.
— Allie, oh, mon Dieu, Allie !
s’épouvanta-t-il en se jetant sur la chute du lit de la convalescente. Mais que
t’est-il arrivé ? Allie, réveille-toi ! Allez, Allie ! s’emporta
Carter désemparé.
— Doucement, jeune homme ! intervint la
doctoresse alertée par le grabuge. Votre amie ne risque pas de vous répondre,
elle est inconsciente, elle a subi divers traumatismes…
— Mais elle… elle va…
— Se remettre ? l’interrogea-t-elle du
regard avant de poursuivre encouragée par l’acquiescement silencieux de
l’adolescent. Allie est gravement atteinte et… aussi bien extérieurement
qu’intérieurement, alors si vous pouviez vous ressaisir, jeune homme, vous l’aideriez !
— Mais vous ne m’avez pas dit. Est-ce
qu’elle… ?
— Pour l’instant son état est stationnaire,
mais elle n’est toujours pas revenue à elle depuis qu’elle a été transportée
ici et…
— Quand a-t-elle été retrouvée ? Que
lui est-il arrivé ? Quel est le monstre qui lui a fait ça ? De quoi
souffre-t-elle exactement ? Combien de temps va-t-elle… ?
— Carter, voudriez-vous vous calmer et me
laisser vous renseigner sur la situation ?! s’agaça la femme. Je sais
qu’Allie et vous êtes très proches mais…
— Oui… Non… Enfin… Comment le savez-vous ? s’enquit
Carter, un sourire arquant naturellement ses lèvres sans même les contrôler.
— Je l’ai entendue susurrer votre prénom à
plusieurs reprises depuis qu’elle est alitée… Cela fait bien sept heures
maintenant, précisa-t-elle en jugeant sa montre. Ces deux syllabes sont les
seules qu’elle a prononcées… Ce qui a d’ailleurs chagriné Sylvain, ce jeune
garçon tout à fait charmant, qui s’est subitement éclipsé… Allez savoir
pourquoi ?! ironisa-t-elle pour détendre celui qui était encore plus
livide que la souffreteuse elle-même. Bref, laissons Allie se reposer et venez
prendre une tasse de thé, je vais vous informer du moindre détail.
Carter s’apprêtait à protester mais le
froncement de sourcil équivoquement orageux du médecin l’en dissuada et il se
résolut à lâcher la main inerte de la jeune fille pour la suivre.
Confortablement installés dans une pièce
adjacente, la doctoresse lui raconta minutieusement les mésaventures de
l’accidentée.
Elle commença par lui indiquer qu’avisés
par Zoé, Sylvain et Lucas accompagnés de gardes chargés de la sécurité,
l’avaient cherchée pendant un long moment. Néanmoins, c’était Raj Patel qui,
tout à fait par hasard, l’avait retrouvée très amochée sur une route enneigée.
Il l’avait immédiatement conduite à l’infirmerie mais, l’étendue de ses
contusions, sa perte de sang abondante, sa commotion cérébrale et quelques
autres blessures internes demeuraient toujours inquiétantes.
Grâce à sa bravoure, Allie avait réussi à
échapper à ses assaillants, toutefois, elle avait terriblement mis en danger sa
vie pour y parvenir. Lors de leurs recherches, Sylvain et son équipe avaient
repéré une camionnette endommagée et en avaient extrait Gabe ainsi qu’un
conducteur extrêmement meurtri par une offensive oculaire de la jeune
téméraire. Bien que légèrement inconscients à leur arrivée dans l’officine, les
sommaires examens ne révélant aucune gravité, ils avaient été placés en lieu
sûr.
Le médecin autorisa Carter à séjourner
auprès de la jeune comateuse à condition qu’il soit serein. Seule une présence
apaisée pouvait favoriser sa sortie des limbes. Pas une personne nerveuse et
angoissée. Même si celle-ci comprenait les craintes de Carter, Allie avait
besoin de tranquillité et de soutien. Il lui assura qu’il saurait se tenir et
qu’il la veillerait avec bienveillance.
Après ces révélations affligeantes, Carter
retourna donc au chevet d’Allie congédiant pour quelques heures le professionnel
de santé qui avait besoin d’un instant de détente après cette nuit agitée.
Le jeune garçon n’avait eu connaissance de
l’assaut qu’au petit matin et il s’en voulait énormément d’avoir été distrait
par son batifolage avec Julie.
Il avança le siège mis à disposition près
du lit inhospitalier qui accueillait la victime, couverte d’ecchymoses, de
bandages, d’un plâtre à son bras gauche ainsi que d’une perfusion. Il
s’approcha le plus possible de ce corps frêle avant d’enlacer la main droite
d’Allie dans les siennes. Il posa délicatement sa bouche sur leurs parcelles de
peau entrelacées. Puis, tandis qu’il la couvait de son regard tendre, sans
jamais détourner la tête, il se perdit dans ses élucubrations.
Ses ruminations tournaient en boucle
depuis plus de deux heures ; il se fustigeait pour ses comportements
passés. Qu’est-ce que je foutais à
flirter pendant que celle… celle… pendant que Sheridan se faisait
kidnapper ?! Julie ne m’intéresse même pas, je souhaitais juste la rendre
jalouse, mais au lieu de l’effet escompté, je ne l’ai que plus éloignée et
voilà le résultat ! Allie se retrouve entre la vie et la mort à cause de
mon orgueil ! Oui, elle s’est rapprochée de Sylvain… mais… me suis-je
battu pour elle ? Lui ai-je témoigné de mon affection ? Lui ai-je
suffisamment fait confiance ? Lui ai-je ouvert les yeux sur… Non.
Non ! NON ! Je n’ai rien fait de tout ça ! J’étais trop
assujetti à ma jalousie excessive… Cependant, elle ne me donnait pas le droit
de réagir si démesurément. Même si Sylvain dupe beaucoup d’entre nous et qu’il
n’est pas celui qu’il…
Un faible murmure – « Carter…
Carter… » – le fit sursauter. La voix d’Allie était à peine audible et ses
yeux restaient clos. Ce chuchotis caressant les tympans du jeune garçon, il
bondit alors plus près de cette bouche appelante et, rivant ses yeux sombres
sur le visage tuméfié de sa protégée, encore si contrit, il gémit :
— Oui, ma belle, je suis là !… Je suis
là, tout va bien, je te le promets, tout ira bien ! Je ne te quitterai plus,
je te le promets… Allie…
La jeune fille répétait inlassablement son
prénom et, de la pulpe de ses doigts Carter câlina son front dégagé de toutes
mèches désormais rouges et poussiéreuses. Il la berça de ses paroles
réconfortantes jusqu’à qu’elle ouvre péniblement ses paupières qui
papillonnèrent.
Par la suite, elle le dévisagea de longues
secondes comme si son existence en dépendait et ce qu’elle lut dans les
prunelles du jeune garçon lui administra un énième coup de poignard !
Pourquoi
suis-je toujours aussi charmée par son visage ténébreux ? Et pourquoi
celui plus angélique de Sylvain continue de me tourmenter également ?
Pourquoi ne puis-je pas définitivement choisir entre les deux ? Peut-être
parce que les deux se montrent si prévenants avec moi… si affectueux… qu’ils embrassent
aussi bien l’un que l’autre et que chacun me fait éprouver des sensations
exaltantes et que… Pourquoi quand je suis avec l’un, je désire l’autre, et
quand je suis avec l’autre, je désire à nouveau le premier ? Est-ce sans
fin ? Mais… auquel puis-je me fier ? À qui puis-je faire
confiance ? En même temps, mon subconscient semble avoir choisi puisque je
suis incapable de n’articuler rien d’autre que « Carter »… Et au
fait… euh… je suis où ? Pourquoi je ne peux pas bouger ? (Elle s’inquiéta sérieusement.) Pourquoi j’ai cette impression d’être dans
le brouillard et d’être clouée au lit ? Pourquoi ma gorge me brûle
autant ? Pourquoi aucun son ne sort de ma bouche ? Aïe… Mais
qu’est-ce… ?
Comme si Carter avait entendu son
questionnement intrinsèque, il l’informa qu’elle se trouvait à l’infirmerie
suite à une embardée de voiture qu’elle avait provoquée afin de se soustraire à
ses agresseurs. Il lui expliqua qu’elle avait été enlevée par Gabe ainsi qu’un
autre homme dont il ne connaissait pas encore l’identité. Confus, il se
repentit de ne pas avoir été là pour la secourir et surtout de ne pas lui avoir
évité cet affreux enlèvement à cause de son entêtement stupide à la dédaigner
ces derniers temps.
Les souvenirs épars d’Allie refirent
brusquement surface, mais dans un charivari déconcertant. Ses dernières
réminiscences s’envolèrent vers l’empreinte charnelle des lèvres sensuelles de
Sylvain. Elle ne savait que penser ! Son corps semblait façonné pour se
blottir contre ceux de ces deux jeunes garçons à la physionomie pourtant très
disparate.
Au demeurant, même si elle était
indéniablement attirée par le blondinet français aux yeux céruléens, l’air
mystérieux du brun aux prunelles noires et surtout son magnétisme, la
troublaient davantage. D’ailleurs, son cœur semblait avoir parlé à son insu.
C’est lui qu’elle avait interpellé, c’est lui qu’elle souhaitait à ses côtés
pendant qu’elle était si fragile, c’est lui…
Carter était bouleversé de déchiffrer les
émotions traversant celle qu’il n’avait jamais cessé de considérer comme sa
petite amie. Il laissa échapper une discrète larme sans même s’en rendre
compte. Il avait l’agréable sentiment de partager une connivence perdue depuis
trop longtemps.
Le silence régnait et, sans l’artifice du
langage verbal, ils se confiaient de doux secrets allant bien au-delà des
précédents. Leurs œillades étaient tellement profondes qu’ils n’avaient pas
besoin de parler, leurs âmes respectives s’exprimaient pour eux. Ils ne
s’étaient pas encore souris, néanmoins, chacun ressentait la félicité de cet
instant. N’en tenant plus, Carter s’écria malgré lui :
— Je t’aime !
Allie le dévora de ses yeux encore groggy
mais reflétant ses pensées les plus intimes. Prise d’une crise de panique à la
suite de ces mots chaleureux, elle haletait… étouffait même. Elle était si
lasse qu’elle ne savait plus comment s’y prendre pour survivre à cette attaque affective ! Elle était décidément bien plus
habile dans l’art de la guerre qu’en amour !
Témoin de son asphyxie dont il était
entièrement responsable et, pas peu fier à vrai dire, Carter emprisonna le
visage de la jeune fille de ses deux mains. Il plongea son regard aimant dans
le sien et, sans jamais rompre leur contact visuel, lui souffla d’une
intonation mielleuse :
— Inspire, ma belle… Là voilà… Expire
maintenant… Recommence, Allie. Inspire… et...
Tout en la guidant, il mimait une
respiration exagérée pour l’accompagner dans ce processus qui demanda bien plus
de temps que d’accoutumée compte-tenu de la fatigue de la blessée.
Allie aimait tellement contempler son…
son… Carter lorsqu’il la cajolait de la sorte. Pourquoi fallait-il que deux
prétendants aussi scandaleusement beaux l’un que l’autre… aussi gentils l’un
que l’autre… aussi chevaleresques l’un que l’autre… ne se disputent ses
faveurs ?! C’était bien sa veine, tiens !
Aussitôt que les joues d’Allie se
rosirent, Carter s’empressa de l’embrasser passionnément et alors toutes les
inquiétudes, toutes les craintes, toutes les interrogations de la jeune
tourmentée, se dissipèrent comme par magie. Elle s’abandonna totalement à la
ferveur de la langue de l’adolescent qui se mélangeait avec délice à la sienne.
Plus rien n’existait !
Son esprit embué et torturé se
rassérénait.
Carter et Allie s’étreignirent dans une
infinie douceur et leurs visages fermés et blafards jusque-là se détendirent et
s’empourprèrent de plaisir. Leurs minois s’illuminèrent au point d’éclairer ce
box sépulcral. Puis, se reculant, Carter déposa son front sur celui d’Allie
avant de fredonner :
— Je t’aime, Alyson Sheridan.
La jeune fille était encore incapable
d’émettre des sons plus longs que le prénom du garçon, mais il n’était pas
nécessaire qu’elle lui retourne ses aveux, il savait qu’elle l’aimait
aussi ! Ses yeux le signifiaient pour elle, point besoin de mots. Il
glissa lentement et langoureusement vers la bouche de cette dernière dans le
but de s’unir à nouveau à elle. C’est alors que Sylvain, entrant en trombe, se
jeta sur lui et le chassant virulemment, vociféra :
— Tu fais quoi mec avec ma petite amie ?!
Tu profites de sa faiblesse ? Je te savais fourbe, mais tu es plus que ça,
Carter… Tu n’es qu’un…
— Sylvain, il est temps que tu arrêtes de
prendre tes rêves pour une réalité ! T’es pathétique, tu sais ça ? se
moqua-t-il sarcastiquement.
— Ah oui ? J’étais pathétique quand
nous nous embrassions fougueusement avant-hier soir, Allie ?!
s’énerva-t-il tout en observant de haut la jeune fille. Eh bien, tu attends
quoi pour dire à ce vaurien qu’il se méprend sur tes sentiments ?! Dis-lui,
Allie ! beugla-t-il plus impitoyable que jamais, prêt à la secouer.
La jeune fille aussi prise de court que
les deux belliqueux ne pouvant soutenir leurs regards quémandeurs, détourna la
tête et se réfugia dans son mutisme récent.
— Si tu étais, ne serait-ce qu’un petit peu
moins égocentré, Sylvain, asséna Carter à son rival tout en le toisant et le
défiant, tu te serais aperçu que notre chère Allie ne peut pas, pour l’instant,
parler ! Mais apparemment…
— Eh bien, elle n’a qu’à hocher la
tête ! le coupa-t-il sévèrement. Informe-le, Allie, que c’est moi que tu
veux !
Des larmes envahirent les grands yeux gris
de l’adolescente, et lorsque son regard se posa sur Carter, celui-ci saisit
l’abjecte message. Il n’était plus si sûr qu’elle éprouve pour lui les mêmes
sentiments qu’il ressentait fortement pour elle.
— Je… euh… Je pensais que… nous avions une
connexion spéciale, Allie, bredouilla Carter à l’adresse de celle qui comptait
plus que tout pour lui. Mais… vraisemblablement, j’avais tort en pensant que…
Laisse tomber ! Je vous laisse, les amoureux, glapit-il alors en insistant
plus que nécessaire sur le substantif « amoureux ». Puisque tel est
ton souhait, je m’efface et… une bonne fois pour toutes ! gronda-t-il
avant de disparaître.
L’adolescente contrariée riva des yeux
exaspérés à ceux d’un Sylvain triomphant. Elle énonça pour la dernière fois les
deux mêmes syllabes qu’elle répétait à foison depuis des heures, puis convulsa
et sombra finalement dans un profond sommeil léthargique.
À son réveil, trois jours plus tard, le
dernier souvenir d’Allie remontait à son effondrement dans les bras sécurisants
de Raj Patel. Pourtant, une sensation charnelle délicieuse persistante était
inscrite dans sa chair. En parallèle, elle percevait également la musicalité
enchanteresse de mots doux susurrés mais non discriminés.
C’est le cœur empli d’amour qu’Allie revint à la vie…
C’est le cœur empli d’amour qu’Allie revint à la vie…
© Erika Cazaux, 2013
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